La mésaventure du fermier Pierre Lecomte de Saint-Vallier
C’est dans la tourmente des arrestations des 20 et 21 février 1944 dans le bassin minier que se joue « la malencontreuse panne de voiture » comme nous l’avons titré page 305 de notre livre Les Téméraires, une histoire neuve de la Résistance. C’est Madame Danièle Lecomte qui nous rapporta il y a quelques semaines, la mésaventure de son aïeul suite à cette panne !
Marc Boillet et Lucien Vannier, deux des « durs » de la Charmée passés à la Résistance gaulliste de Montceau, cachèrent leur traction-avant inutilisable dans la grange de la ferme de Pierre Lecomte (arrière grand-père de notre lectrice), au Vernois, à Saint-Vallier - Ils l'avaient dérobée en décembre 1943 près de Sennecey-le-Grand - . Les fermiers furent contraints d’accepter de remiser la voiture. Les deux résistants, grillés dans le bassin minier, avaient prévu de fuir avec cette traction qui tomba en panne, provoquant un ajournement de leur fuite et malheureusement leur arrestation.
M et Mme Lecomte devant la grange (photo colorisée)
Un mois plus tard, le véhicule fut récupéré par une bande de jeunes volontaires qui se pensaient en partance pour le maquis. En réalité, leur petit groupe était noyauté par deux jeunes hommes de la Sorme à la solde de la Sipo/SD allemande ( les fameux Grémy et Morel qui feront l’objet d’un futur article).
Quelques jours après la récupération de la traction, toute l’équipe fut appréhendée par la police française. De leur interrogatoire ressortit le nom de Pierre Lecomte, arrêté à son tour le 7 avril et accusé « d’activités terroristes, recel d’une voiture volée et d’entrave à l’action de la police et de la justice. »
Pierre Lecomte, né en 1878 à Martigny-le-Comte, était un vétéran de 14, blessé aux jambes par un éclat d’obus devant Verdun en 1916. Lors de son interrogatoire par le sinistre inspecteur principal Georges Bon de la Police de Sûreté de Dijon (voir pages 204 à 206 des Téméraires), il affirma avoir agit sous la contrainte et s’être tu par peur des représailles :
« L’un d’eux m’a dit que cette voiture était garée chez moi pour 8 à 10 jours, ajoutant que si elle disparaissait, je disparaîtrais moi aussi, et même si des voisins étaient trop bavards, ils disparaîtraient également. […] Je n’ai pas averti les services de police ou de gendarmerie parce que j’ai eu peur ».
Interrogé plus tard dans sa prison, Marc Boillet témoigna dans ce sens :
« Le propriétaire a bien fait quelques hésitations pour remiser la dite voiture mais comme tous deux nous l’avons menacé de nos armes, il a finalement consenti à cacher notre voiture… ».
Pierre Lecomte fut écroué à la maison d’arrêt de Chalon-sur-Saône le 7 avril 1944, puis tranféré à celle de Besançon, le 13 mai, en même temps que la plupart des arrêtés du bassin minier. D'après son arrière-petite fille, il fut libéré après 50 jours d’incarcération, soit début juin.. Il eut ainsi la chance d’être relâché avant le 19 juin, date à laquelle tous les inculpés d’activités terroristes de Besançon, même pour des cas minimes comme c'était le sien, furent remis aux autorités d’Occupation et déportés en Allemagne quatre jours plus tard.
Lucien VANNIER |
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Le 13 mai, en même temps que Pierre Lecomte avait été transféré à Besançon l'un de ses "visiteurs à la traction" du 21 février, Lucien Vannier, jeune de 19 ans originaire du quartier du Champ-du-Moulin. Convaincu de bien d'autres actions violentes, il fut déféré aussitôt devant la Cour martiale qui se réunit le 18 mai. Condamné à mort, il fut fusillé par un peloton français de la Gendarmerie mobile de Réserve (GMR), le 19 mai 1944. |
Registre d'écrou de Chalon - Lecomte - Dérozereuil- Auloy (autre victime collatérale, brocanteur, il avait vendu une arme à l'un des jeunes volontaires pour le maquis)
Notice individuelle d'arrestation de Pierre Lecomte