"Pierrot"
André Pauchard (1926-2012) et Pierrot Fort (1925-1944) étaient amis d'enfance, la maison des Pauchard, au 9 de la rue des Rompois, le long du chemin de fer, était proche de la 8ème écluse où résidait la famille Fort, entre Montceau et Blanzy.
En 1943, ils se retrouvèrent naturellement côte à côte au sein du groupe de sabotage F.T.P de la 8ème écluse, à faire dérailler les trains entre Montceau et le Gratoux (Saint-Eusèbe).
Pierrot Fort fut capturé par les Allemands le 22 juillet 1944, au passage à niveau de Lucy, en même temps qu'était tué son camarade Marcel Milly. Torturé à l'école de l'hôpital, il fut ensuite conduit à la prison de Chalon. Il allait être fusillé au bois de Marloux (commune de Mellecey), le 20 août 1944, peu avant la Libération, quand les Allemands se préparaient à quitter Chalon.
C'est fin novembre 1944 seulement que son corps sera retrouvé et identifié.
Le texte ci-dessous a été écrit par André Pauchard (dit "Tom") plus tôt, probablement en octobre, avant l'enterrement de "Pierrot" au cimetière du Bois-Roulot, dans cette période où l'on espèrait que les disparus et les déportés allaient rentrer. La plupart des jeunes qu'il cite, pour la plupart les arrêtés des rafles de février, sont en réalité en train de mourir dans les camps.
C'est donc un document brut que nous vous présentons, car il porte la rage qui anime André Pauchard au lendemain de la Libération : il ne rêve encore que d'épuration sanglante et de poursuite de la guerre. Il va bientôt partir pour livrer combat contre les "poches de l'Atlantique", puis en occupation en Allemagne… Comme nombre d'anciens résistants, il aura pris goût à la guerre et continuera sous l'uniforme, en Indochine cette fois. Insondable retournement…
NE L'OUBLIEZ PAS.
Il est des souvenirs, il est des êtres que la joie de la Libération ne doit et ne peut nous faire oublier. Bien que quelqu'un, dont il aurait mieux valu ne jamais entendre parler, ait pu dire que "nous avions la mémoire courte" heureusement nous n'oublions rien : ni la barbarie des Teutons, ni nos martyrs, ni les traîtres.
MONTCEAU a, depuis longtemps, prouvé qu'elle ne cédait en rien aux autres villes au point de vue patriotisme. Depuis longtemps, nombre de ses fils, insurgés contre l'oppresseur, lui ont fait la vie dure et ont contribué à la Libération nationale. Mais une défaite comme celle de 39-40 ne se rachète que dans le sang. Hélas, beaucoup de patriotes montcelliens ont payé de leur liberté, de leur souffrance, de leur vie le flottement du drapeau tricolore dans l'air poussiéreux de notre cité. Ceux-là, il ne faut pas se contenter d'y penser, il faut en parler.
Je ne parlerai ici que de ceux que j'ai particulièrement connus. Il y a d'abord nos morts, nos glorieux morts, devant lesquels nous nous inclinons respectueusement : CHALMANDRIER, MILLY, LAURENT, BINET, MORIN, MONNERET, CHRISTIAN, SEGAUD, GAULLIARD, MERCIER, dont j'ai déjà parlé, et tous ceux d'Uchon, de Mont-Saint-Vincent, d'Autun, de Galuzot, et j'en oublie. Ils ont pris les armes, confiants en l'avenir de la France, et les ont portées vers la victoire, jusqu'à ce que la mort les leur arrache.
Il y a nos déportés, nos disparus, nos torturés, emprisonnés et maltraités pour avoir trop aimé la Liberté. Ceux-là sont nombreux : PIERRE FORT, DEROSEUIL, AUPECLE, COSTE, PERRIAUD, LESCURE, VIEILLARD, DOUAY, GIROUX, LORIOT, DUPERRIER, LAUPRETRE, VANNIER – fusillé depuis – et toutes les victimes des terribles rafles de février… Aux mains de l'ennemi, ils savent encore conserver l'espérance au milieu de leur souffrance. Qu'ils sachent que leurs camarades plus heureux ne les oublient pas.
Toi surtout, cher ami PIERROT, crois que souvent ici, très souvent, on parle de toi, de tes exploits. Après l'hôpital de Montceau, quelle salle de torture étouffe aujourd'hui tes gémissements ? Je n'en ai hélas pas la moindre idée. Mais je suis sûr que les boches voient avec stupeur ce qu'un Français de 19 ans peut faire pour sa patrie. Certains conservent un souvenir cuisant des F.T.P. et de tous les résistants de Montceau, qui n'étaient pour eux, bien sûr, que des "terroristes" inconnus.
Maintenant, nous qui les connaissons, nous avons le devoir de les faire connaître. Rescapé qui m'en suis tiré avec une blessure accidentelle sans gloire – mais non sans douleur -, je m'y emploierai de mon mieux.
Je ne puis m'empêcher de m'attarder un peu sur mon cher camarade PIERROT, qui fut l'âme de notre Groupe. Sans peur, entreprenant et téméraire, son silence sous la torture n'est pas la moindre preuve de son courage.
Qu'aurait-on fait de nos familles s'il avait parlé ? Bientôt, j'en suis sûr, nous le retrouverons, amoindri physiquement, mais inébranlé dans son moral. Et nous pourrons, avec émotion, le remercier. Il avait heureusement entrepris l'épuration, quand il fut pris les armes à la main. Je dis heureusement puisque, il faut bien le reconnaître, l'épuration officielle est nulle. Trop de traitres et de kollaborateurs foulent encore les pavés de la rue Carnot, ces pavés rouges du sang de nos patriotes… Nous étions en droit d'espérer mieux.
C'est grâce à nos compatriotes qui se sont sacrifiés que nous respirons aujourd'hui librement.
MONTCELLIENNES et MONTCELLIENS, ne l'oubliez pas.
MONTCELLIENNES et MONTCELLIENS, il faut que l'œuvre qu'ils ont entreprise soit continuée…
Ne l'oubliez pas.
Signé : PAUCHARD ANDRE
dit "TOM"
(paru après modification dans l'Etincelle, périodique communiste de S&L)
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